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« Burning Days », sur Ciné+ Frisson : Emin Alper montre une Turquie rongée par le populisme et la corruption

CINÉ+ FRISSON – MERCREDI 7 AOÛT À 20 H 50 – FILM
Emin Alper, cinéaste turc érudit et engagé, livrait avec cette enquête judiciaire son quatrième long-métrage. Il n’est pas inconnu en France, puisque ses deux premiers longs-métrages, Derrière la colline (2013) et Abluka. Suspicions (2016), y ont été distribués. Lesquels suffisent à désigner le repli sur soi, le communautarisme paranoïaque et le rejet de l’étranger comme les principaux motifs d’une œuvre qui, maniant le thriller politique avec une efficacité qui gagnerait à se rendre plus subtile, coïncide non sans raison avec la confiscation populiste du pouvoir et la régression autoritaire de l’Etat turc.
On repart sur ces bases avec Burning Days. Emre, un jeune procureur intègre venu de la capitale, débarque dans une ville d’Anatolie, où son prédécesseur, apprendra-t-on vite, a manqué mourir empoisonné et a fini par donner sa démission. Le jeune fonctionnaire, de fait, est aussitôt confronté à un environnement diffus qui oscille entre l’onctuosité et, de plus en plus ouvertement, la menace.
Le voilà bientôt pris en tenaille entre un jeune journaliste homosexuel, sur le compte duquel roulent de sales rumeurs, mais qui lui révèle les prévarications commises par la mairie sur le dossier de l’eau, et un certain nombre de notabilités, qui vont tenter en un premier temps de le circonvenir.
Victime d’un piège grossier, impliqué dans une affaire de viol, le procureur se trouve entravé dans son action. A son corps défendant, le voici devenu otage d’une municipalité où le népotisme, le racisme et le détournement des ressources publiques se pratiquent avec l’assentiment d’une population conquise par les manipulations grossières et démagogiques de ses édiles.
Les gouffres qui environnent la ville, appelés « dolines » et causés par l’épuisement des nappes phréatiques, deviennent ainsi comme une figure du paysage mental de ce film : celle d’un trou noir où le populisme, la corruption et l’enrichissement sans limite des puissants, le bâillonnement de l’opposition et la crédulité des peuples menacent de faire sombrer le monde, au sens civique, moral et écologique de cette chute. Evoquant la Turquie, Emin Alper n’en désigne pas moins un mal qui, à l’évidence, se dissémine partout.
Sélectionné, en mai 2022, au Festival de Cannes, dans la section Un certain regard, le film a néanmoins eu un retour difficile en Turquie, où le gouvernement l’a accusé de « propagande LGBT », réclamant aux producteurs le remboursement des aides accordées à sa réalisation. Effleurée par le réalisateur, la question n’y est pas centrale. L’accusation est donc suffisamment inepte pour qu’on la soupçonne immédiatement de masquer la véritable charge politique du film, qui est celle du pouvoir usurpé.
Burning Days, d’Emin Alper. Avec Selahattin Pasali, Ekin Koç, Erol Babaoglu, Selin Yeninci (Turq., 2023,128 min).
Jacques Mandelbaum
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